Pr Kathia Chaumoitre1, Pr Catherine Cyteval2 – 1. Responsable de la Fédération Imagerie Urgence (FIU), CHU Marseille. 2. Membre du bureau du CERF, CHU Montpellier
L’interprétation des clichés standard des urgences est une obligation légale comme tout examen d’imagerie, mais dans la réalité les unités d’imagerie (publiques et privées) ne sont pas toujours en capacité de dicter tous ces examens. Idéalement, ces clichés, demandés avec des renseignements cliniques pertinents, devraient être interprétés en temps réel (comme le sont la plupart des scanners des urgences). Comment arriver à cet idéal dans le contexte actuel de manque de radiologues et d’augmentation continue des flux de patients en SAU ? Est-ce que l’Intelligence Artificielle peut être une solution ou seulement un mirage ?
Dans le cadre des JFR de printemps qui portaient sur la radiologie de demain, une enquête en ligne a été envoyée aux membres de la SFR. Les résultats sont étonnants sur ce sujet, avec 20% des CHU de l’enquête (soit 9 sur 45 CHU ayant répondu) qui n’interprètent pas ces clichés et 80% qui font une interprétation différée. Les hôpitaux généraux ont un taux d’interprétation un peu plus élevé et les structures privées dictent tous les clichés.
Ce focus sur l’interprétation des clichés standard aux urgences doit être élargi à toute la prise en charge du patient si nous voulons une filière de qualité. En effet, il faut optimiser toutes les étapes en commençant par la pertinence des demandes pour éliminer les demandes inutiles, puis la qualité des clichés réalisés par les manipulateurs, l’interprétation qui doit être seniorisée, mais intégrer aussi la formation des plus jeunes qui se plaignent de ne pas être suffisamment formés sur ce type d’examen, la transmission du compte rendu aux urgences mais aussi au patient et au médecin traitant (en cas d’interprétation différée) et enfin le traitement des discordances avec staff commun Urgences / Radiologie.
L’Intelligence Artificielle a du potentiel pour nous aider à toutes ces étapes.
Les algorithmes actuellement disponibles sont encore en phase de développement et restent ciblés sur des pathologies et des localisations spécifiques (fracture récente oui/non, squelette appendiculaire hors rachis, crâne et os de la face). On est loin d’une analyse complète de la radiographie.
Dans la plupart des études, la sensibilité et la spécificité du couple IA + radiologue est supérieure à celle de l’IA seule. Une étude sur faible effectif (non soumise pour publication) indiquerait que l’IA améliorerait la sensibilité et la spécificité des urgentistes (qui est à l’état de base inférieure à celle du radiologue seul), mais la quantification de cette amélioration de performances reste à confirmer méthodologiquement.
En dehors des logiciels d’aide à l’interprétation, l’exploitation des « big data » est une piste pour développer des aides à la pertinence de la demande des cliniciens. L’Intelligence Artificielle peut également organiser le workflow du radiologue en triant les clichés (clichés très probablement pathologiques, clichés très probablement sans fracture, clichés douteux) pour optimiser la dictée des clichés, en commençant par exemple par les clichés douteux qui demandent plus de concentration et sont pourvoyeurs de discordances. Il est aussi possible d’évaluer automatiquement la qualité du cliché ce qui peut être une aide et un contrôle qualité pour les manipulateurs.
Le développement de ces logiciels doit se faire en collaboration constante avec les radiologues qui doivent s’impliquer et garder leur expertise. Les plus jeunes doivent continuer à être formés et connaître les limites de l’IA. Ces nouvelles technologies doivent nous aider dans le travail quotidien et permettre un gain de temps (non prouvé pour le moment), gain de temps à mettre au service de la relation patient et à la formation des plus jeunes.
Au total, les radiographies standard aux urgences ne doivent pas faire les frais du manque de radiologues seniors dans les grosses structures aux dépens de l’imagerie en coupes. L’apport de l’IA est encore balbutiant dans ce domaine mais mérite tout notre intérêt, dans un esprit critique et constructif.
En savoir +
Séance pédagogique
Indications de l'imagerie en urgence : regards croisés urgentistes / radiologues
16:15 - 17:30
Salle 252