Les injections rachidiennes de corticoïdes sont utilisées quotidiennement dans le traitement des lombo-radiculalgies et des névralgies cervicobrachiales. Ces infiltrations s’effectuent à tous les étages rachidiens, essentiellement par voie foraminale, interlamaire, facettaire et par le hiatus sacro-coccygien. Le but de ces infiltrations est de supprimer l’inflammation (si elle est présente) impliquée dans la pathogénie des douleurs, et donc de réduire ou supprimer les douleurs à court terme.
L’accroissement considérable du nombre d’infiltrations rachidiennes de par le monde s’est également accompagné de la publication d’une quarantaine de cas de complications neurologiques graves (infarctus du tronc cérébral, du cervelet, quadriplégie, tétraplégie, décès). La véritable fréquence de ces complications est difficile à connaître, certains cas n’étant pas publiés. Néanmoins, elles paraissent très rares au vu du nombre considérable d’injections réalisées par an. L’Afssaps rapportait en 2009 une incidence de sept complications neurologiques sur un million d’injections rachidiennes. Ce taux de complication doit être mis en parallèle avec l’incidence des complications des anti-inflammatoires non stéroïdiens administrés par voie orale (0,2-1,35% d’infarctus du myocarde, 0,09-2,5% d’ulcère / perforation gastrique, 0,13-0,29% d’accident vasculaire cérébral).
Deux types de corticoïdes sont ou ont été utilisés au rachis : les corticostéroïdes particulaires et les corticostéroïdes non particulaires. En dehors d’un cas clinique récent, tous les cas de complications neurologiques gravissimes ont été rapportés dans les suites immédiates de l’injection d’un corticostéroïde particulaire (Kenalog®, Depomédrol®, Hydrocortancyl®).
Actuellement en France, depuis l’arrêt de commercialisation du Cortivazol (Altim®) en février 2017 et les restrictions d’utilisation de la Prednisolone (Hydrocortancyl®), seul corticostéroïde particulaire disposant de l’AMM pour les injections épidurales, le radiologue musculo-squelettique se retrouve dans une impasse thérapeutique puisque :
- il ne dispose plus de corticostéroïdes pour les injections foraminales et interlamaires au rachis cervical ;
- il ne dispose plus de corticostéroïdes pour les injections foraminales au rachis lombaire ;
- seule l’infiltration épidurale postérieure du rachis lombaire par l’Hydrocortancyl® reste possible ;
- en cas d’antécédent d’intervention chirurgicale, l’infiltration par l’Hydrocortancyl® ne doit pas être réalisée à l’étage opéré mais à distance (le choix de l’étage à infiltrer devant être fait par une réunion de concertation pluridisciplinaire), ou par la voie épidurale du hiatus sacro-coccygien.
Il s’agit donc d’une situation de réduction de l’offre thérapeutique puisqu’actuellement en France, seule la Dexaméthasone MYLAN, dosée à 4 mg/ml, est disponible auprès des pharmacies des hôpitaux et des cliniques, sa commercialisation n’étant pas assurée dans les officines de ville. Elle contient dans ses excipients des sulfites qui peuvent parfois engendrer des phénomènes allergiques, essentiellement cutanés. Une dexaméthasone commercialisée en Allemagne et en Suisse, ne comportant pas de sulfites, n’est pour l’instant pas commercialisée en France. Aucun de ces produits ne possède l’AMM française pour une injection foraminale ou épidurale.
Pourtant, ce corticostéroïde est largement utilisé (et volontiers recommandé) en infiltration épidurale et surtout foraminale, notamment aux États-Unis, au Canada et en Corée, alors que l’infiltration épidurale ne figure pas dans les indications thérapeutiques officielles de ce médicament. De plus, certaines équipes en France utilisent ce corticoïde au rachis depuis plusieurs années, se basant sur les données de la littérature mondiale et les pratiques dans de nombreux pays.
La SIMS a rencontré l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de Santé) pour discuter de cette problématique. Les données générales et bibliographiques ne sont actuellement pas assez robustes pour envisager une extension d’AMM explicite de la Dexaméthasone sodium phosphate aux infiltrations rachidiennes, comme l’agence pourrait le faire dans un cadre d’évaluations classiques avec essais cliniques à l’appui. L’ANSM a cependant invité les sociétés savantes à émettre des recommandations pouvant contribuer à trouver une alternative aux indications révolues de l’hydrocortancyl, et notamment la possibilité d’utilisation ou de mise à disposition de dexaméthasone dans ces indications.
Dans l’état actuel des choses, et en se basant sur les données actuelles de la littérature, la SIMS, la FRI et la SFR recommandent fortement d’éviter toute infiltration foraminale de corticoïdes particulaires (et notamment d’hydrocortancyl) en raison du risque théorique majoré d’accident ischémique médullaire ou dans le territoire de l’artère vertébrale, que ce soit au niveau cervical, thoracique ou lombaire.
La Dexaméthasone sodium phosphate, seul corticoïde non particulaire actuellement disponible en France, est très largement utilisé à l’international, notamment aux États-Unis, hors indication. Si une infiltration cervicale (foraminale ou épidurale postérieure) ou foraminale lombaire est indiquée (absence de réponse thérapeutique suffisante avec le traitement antalgique et anti-inflammatoire usuel, infiltration à visée diagnostique), ce corticoïde paraît, à l’heure actuelle, être associé à un risque plus limité de complication neurologique chez un patient sans antécédent chirurgical. Au rachis lombaire, si une infiltration épidurale postérieure interlamaire ou par le hiatus sacro-coccygien est indiquée, la prednisolone (Hydrocortancyl) et la Dexaméthasone sodium phosphate peuvent être utilisés. En cas d’antécédent chirurgical, l’infiltration doit impérativement être faite à distance du site opéré, le choix de l’étage à infiltrer devant être discuté lors d’une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), ou être la voie épidurale du hiatus sacro-coccygien.
La SIMS, la FRI et la SFR rappellent la nécessité de veiller à ce que toutes les dispositions d’information et de sécurité habituelles à tout geste interventionnel soient prises, notamment :
- la vérification du bien-fondé de l’indication ;
- la vérification de la présence ou de l’absence d’un antécédent chirurgical de la région ;
- l’information du patient, notamment concernant les risques de complications neurologiques, et le recueil de son consentement écrit ;
- le guidage de l’infiltration sous scopie, scanner ou cone-beam CT ;
- l’optimisation du positionnement de l’aiguille ;
- un test par un produit de contraste non ionique afin de vérifier l’absence de cathétérisme artériel (qui n’élimine néanmoins pas définitivement le risque) avant l’injection du corticostéroïde.
Nicolas SANS
Service central de Radiologie et d’Imagerie Médicale, CHU Purpan, Toulouse