Transporteurs intracorporels de stupéfiants : Quelle imagerie face à ce nouveau fléau ?

Imagerie médicale

Transporteurs intracorporels de stupéfiants : Quelle imagerie face à ce nouveau fléau ?

Auteur(s) : 
Lamia Rezgui Marhoul

La consommation de drogues dures a fortement augmenté depuis le début des années 2000. Le nombre de passeurs de drogues encore appelés les « mules » en jargon douanier a également explosé ces dernières années.
Ces passeurs ingèrent la drogue, conditionnée en ovules plastifiés, soit en les avalant, soit en les plaçant dans les parties intimes. La cocaïne n’est pas le seul stupéfiant à être dissimulé dans ces ovules, mais également l’héroïne, la marijuana, les amphétamines… Les quantités ingérées varient de 130 g à un kilo et demi.
Le « transporteur » avale généralement 50 à 100 paquets de 8 à 10 gr chacun. Arrivée à destination, la « mule » évacue sa cargaison par l’anus à l’aide de laxatifs. Un ovule qui craque peut entraîner la mort immédiate par overdose.

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Fig. 1. Abdomen sans préparation : Présence de corps étrangers en projection pelvienne : une dizaine de boulettes rectales.

Les passeurs sont le plus souvent interpellés dans les aéroports internationaux par l’administration des douanes. Ils sont soumis à un dépistage urinaire de stupéfiants et à un examen radiologique réalisé dans les services médicaux des aéroports ou après conduite à un hôpital public, sur réquisition douanière. Quel examen radiologique et quelle technique choisir ? Pour ces passeurs, que les Anglo-Saxons appellent les « body packers » (emballeurs), qui transportent une grosse quantité de cocaïne emballée dans plusieurs couches soigneusement soudées entre elles de oréservatifs en latex et enrobées d’une feuille d’aluminium ou plongées dans de la cire, le cliché standard de l’abdomen est l’examen de dépistage de choix, car sa sensibilité est élevée. Le nombre, la taille des sachets, ainsi que l’épaisseur des couches d’emballage amènent une signature radiologique caractéristique (Fig.1).

Le scanner abdominal sans contraste est plus riche en informations certes, mais ses performances diagnostiques n’ont pas fait l’objet d’études dans cette indication.
Récemment, un nouveau type de revendeur est apparu, « l’avaleur de rue » ou « body stuffer » selon les Anglo-Saxons. Ce dernier vend des boulettes de 1 g de cocaïne et en cas d’arrestation, ces boulettes sont avalées, dissimulant ainsi la preuve du délit. Un deuxième stock de boulettes est gardé dans l’ampoule rectale qui peut contenir jusqu’à 25 boulettes isolées ou stockées dans des Kinder (œufs en chocolat pour enfants).

Classiquement, la justice a recours à la radiologie standard pour rechercher la présence de drogue dans le tube digestif. Mais dans ce cas, la radiologie standard est peu contributive car les boulettes sont emballées dans quelques couches de cellophane soudées à chaud, emballage faiblement opaque et non destiné à résister au passage à travers le tube digestif. La menace vitale est plus importante pour ce type de transporteur. Le cliché de l’abdomen standard est ici un mauvais test diagnostique en raison d’une faible sensibilité. La petite taille des boulettes, l’épaisseur moindre de l’emballage et leur localisation dans le tube digestif haut expliquent ces performances diagnostiques moindres par rapport au cas des body packers. Le scanner s’avère dans ce cas beaucoup plus performant. Une acquisition en coupes fines sans préparation digestive préalable ni injection intraveineuse de produit de contraste iodé est nécessaire avec reconstructions multiplanaires. L’analyse des images doit se faire en algorithme pulmonaire pour augmenter la sensibilité de détection des boulettes de cocaïne situées dans le tube digestif.

La cocaïne liquide a une faible densité radiologique, elle est utilisée par certains trafiquants pour déjouer sa détection radiologique. Elle n’est pas détectée par la radiographie standard et la pratique d’un scanner est alors nécessaire.
L’échographie peut être contributive dans les localisations vaginales et rectales des boulettes.
Chez la femme enceinte, cible idéale pour les trafiquants et qui ne peut être irradiée, l’IRM trouve son indication.
Les radiologues confrontés à la réalisation de cette imagerie se heurtent à l’absence de coopération du patient s’il est agité ou s’il se débat, ce qui peut donner une imagerie floue ou encore la déchirure de l’une des boulettes et la mort par overdose en salle de scanner. L’examen ne peut être réalisé sous anesthésie générale.
La présence de boulettes est une information qui doit être transmise au juge, mais toutes les autres informations obtenues par le scanner sont couvertes par le secret médical.


Pr Lamia Rezgui Marhoul
Centre de Traumatologie Ben Arous Tunis, Tunisie