Le radiologue interventionnel, thérapeute augmenté pour le traitement du cancer

Le radiologue interventionnel, thérapeute augmenté pour le traitement du cancer

Auteur(s) : 
Thierry de Baere

Thierry de Baere – Imagerie Thérapeutique, Département d'imagerie, Institut de Cancérologie Gustave Roussy, Villejuif 

Le radiologue interventionnel oncologique est un thérapeute augmenté de beaucoup de façons. Les possibilités de traitements oncologiques guidés par l’image augmentent en termes de diversité et de nombre de traitements réalisés chaque année. Le radiologue interventionnel est augmenté dans la durée de sa formation par l’arrivée nécessaire et utile d’une formation spécifique en radiologie interventionnelle avancée, ou RIA, qui propose une mise en responsabilité de 2 ans pour le RIA qui pourra réaliser des actes interventionnels de niveau 2 et 3, versus une mise en responsabilité de 1 an pour le radiologue diagnostique, qui ne pourra réaliser que les actes interventionnels simples, ou dits de niveau 1.

L’intelligence du radiologue interventionnel augmente régulièrement, et vraisemblablement plus vite que les trois points de QI gagnés par la population générale tous les dix ans. À ce titre, je suis donc régulièrement impressionné par mes jeunes collègues. L’intelligence augmentée, c’est par définition la symbiose de l’intelligence humaine, de l’intelligence collective et de l’intelligence artificielle. La symbiose de l’intelligence humaine et collective est déjà présente en cancérologie depuis des années, et elle a un nom : la réunion de concertation pluridisciplinaire, où chacun amène son intelligence propre, mais aussi celle induite par les essais thérapeutiques collectifs qui font avancer la prise en charge globale du patient. Plus que tout autre radiologue, le radiologue interventionnel y est impliqué, en tant que thérapeute, améliorant ses performances par itérations et interfaces avec tout le collectif de l’oncologie. L’intelligence artificielle ne tardera pas à s’inviter dans les prises de décision multidisciplinaires, ajoutant à la combinaison d’expertises humaines multiples et variées, des algorithmes et une modélisation fine de l’ensemble des données patient disponibles, au premier rang desquelles les analyses de texture d’image, du profil moléculaire initial des tumeurs, et aussi des modifications moléculaires sous traitement. C’est probablement de cette façon que nous pourrons initialement sélectionner le traitement le plus approprié, prédire au mieux l’effet de nos traitements avant même de les avoir réalisés, les modifier très rapidement s’ils s’avèrent inefficaces, éviter des traitements inefficaces et délétères.

L’optimisation de la fusion d’image non rigide, multimodale, automatisée, fait partie des possibilités à venir de cette intelligence dite artificielle, avec comme conséquence pour l’opérateur une vision dite « de réalité augmentée ». En fait, la réalité augmentée fait partie de notre pratique clinique et de nos thèmes de recherche depuis déjà des années, sans qu’initialement nous en sachions même vraiment le nom. Lorsque nous avons commencé, il y a déjà dix ans, à utiliser des logiciels de navigation vasculaire augmentée, des trouvailles de l’ordinateur pour comprendre et suivre le dédale des routes artérielles qui mènent à la tumeur hépatique, nous ne savions pas que nous utilisions la réalité augmentée, nourrie de l’intelligence artificielle. Ici à Villejuif, nous développons et utilisons aussi depuis longtemps le guidage d’aiguille sur des lignes virtuelles dessinées sur des volumes 3D ensuite projetés dans la réalité du bloc d’interventionnel, nous guidant in fine dans la difficulté de l’anatomie complexe du cadre osseux, d’un bassin endommagé par la maladie afin d’y installer des vis pour consolidation. À Strasbourg, on compare l’homme à la réalité augmentée + intelligence artificielle pour la réalisation de gestes relativement simples de vertébroplastie. Il n’y a pas de gain en précision, mais une irradiation divisée par deux pour l’opérateur et le patient lors du geste augmenté. Il y a peu de doute qu’à terme, pour des gestes complexes de navigation d’aiguille qui ne sont en fait que la progression des coordonnées angulaires, le robot ne prenne une grande place. Un assistant robotisé de navigation d’aguille est probablement plus précis dans ses choix angulaires, plus reproductible et moins fatigable, comme l’ont d’ailleurs déjà compris les orthopédistes, qui ont des compagnons aux doux noms de Rosa, Robbodoc ou Acrobat. Il est bien sûr temps pour les radiologues d’augmenter leur implication aussi dans la robotique. Si l’intelligence augmentée permet de cumuler/mettre en réseau des intelligences personnelles, collectives et artificielles, qui dépassent les possibilités d’analyse et de stockage de notre cerveau, il n’en va pas de même pour une autre partie de notre corps : la main. Capable de réaliser des gestes complexes avec un ressenti très fin, notre main restera probablement encore un outil utile pour quelque temps. En effet, la complexité et la variabilité de nos artères, conçues avant l’ère normalisée du bit, du nibble, et de l’octet, rend la robotisation complexe dans ce domaine. Le robot circulera rapidement sur les larges autoroutes rectilignes que suivent nos aiguilles, mais il mettra probablement un peu plus de temps à pouvoir emprunter les routes secondaires sinueuses des artères distales du corps humain.

Bien sûr, le machine learning va permettre de tirer la quintessence de nos systèmes actuels, de fonctionner avec la meilleure efficacité dans les situations les plus variables. Par exemple, nous savons depuis longtemps que la zone d’ablation obtenue lors d’une destruction thermique percutanée varie en fonction de l’organe dans lequel la tumeur est développée, de la vascularisation tumorale, du contact avec de gros vaisseaux, de la pression artérielle systémique, de traitements systémiques en cours ou préalables, mais en pratique cela impacte peu nos traitements au moment de la réalisation. En développant du machine learning, on peut espérer que les paramètres ci-dessus, additionnés aux paramètres techniques de la réalisation du geste (type de sonde, type d’énergie, position de la sonde, postions relatives de plusieurs sondes l’une par rapport à l’autre…) pourront permettre de prévoir l’effet thérapeutique, et donc d’adapter le geste. Il faut donc dès maintenant un effort de la collectivité radiologique pour accumuler les données si précieuses pour le machine learning, et des data hub de la SFR, comme FORCE-imaging, sont indispensables et doivent être renforcés et étendus.

Le futur du radiologue augmenté est une association homme-machine qui sera à même de traiter les malades, mais aussi d’assumer le rôle sociétal du médecin dans les succès thérapeutiques tout comme dans les échecs et les complications.

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