Machine learning et imagerie hépatique, un mariage d’amour ?

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Machine learning et imagerie hépatique, un mariage d’amour ?

Auteur(s) : 
Gaspard d'Assignies

Gaspard d’Assignies – Radiologie Interventionnelle, CHD Vendée, CHU Nantes. Groupe SFR-IA, Membre ESGAR/ESR/ESOR. CMO & Cofondateur Incepto médical

Bonjour cher algorithme, s’il te plaît peux-tu me mettre en haut de la pile les examens anormaux de la nuit ? Peux-tu m’aider à trouver la jonction plat-dilaté dans cette occlusion du grêle ? Me signaler un anévrisme de l’aorte abdominale > 5 cm ? Celle lésion hépatique, à ton avis, maligne ou bénigne ? Et cette TIPMP des canaux secondaires que j’aime tellement suivre en IRM, est-elle stable ou progresse-t-elle ?

Nous n’en sommes pas encore là… mais pas si loin ! car détecter, caractériser et segmenter sont bien les tâches que les réseaux de neurones profonds savent faire le mieux.

L’intelligence artificielle a fait il y a trois ans une entrée explosive en médecine et connaît depuis une progression exponentielle si l’on en croit la courbe de publications scientifiques. L’imagerie médicale est touchée en premier lieu. Pourquoi ? Trois raisons principales : 1. Elle occupe une place centrale dans la prise en charge des patients. 2. Elle génère donc une quantité massive de données qui sont déjà dématérialisées (numérisées dans les systèmes d’archivage) et 3. Les algorithmes dont nous parlons marchent sur différents types de signaux, mais sont particulièrement performants sur l’image.

L’engouement est réel, l’aide potentielle que peuvent nous apporter ces outils probablement très grande. Pour autant, l’élaboration de ces outils prend du temps et nécessite de regrouper un grand nombre de compétences, à commencer par celles des médecins. La figure 1 résume les six étapes élémentaires pour réaliser un outil d’IA utilisable en routine clinique.

Qu’en est-il de l’application de ces outils en imagerie abdominale ? Une approche exhaustive étant exclue, je vous propose ici de passer en revue les études concernant les applications hépatiques.

On peut distinguer quatre grandes catégories : 1. la détection des hépatopathies diffuses, 2. la détection et la segmentation des lésions hépatiques, 3. la caractérisation de ces lésions, et 4. le contrôle qualité. Je propose de mettre à part la prédiction de la réponse thérapeutique : cette dernière catégorie mobilise le plus souvent un domaine de recherche situé à la frontière de l’IA : la radiomique, vaste sujet que nous ne traiterons pas ici.

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Figure 1. Six étapes élémentaires pour réaliser un outil d’IA utilisable en routine clinique A. définition de la question clinique. B. anonymisation et enrichissement des données d’imagerie. C. entraînement des algorithmes. D. publication des résultats dans la littérature. E. validation clinique et marquage règlementaire. F. diffusion de l’outil.

Hépatopathie diffuse

Yasaka et al [1] ont montré la capacité d’un réseau de neurones à prédire l’existence d’une fibrose hépatique sur une population de 286 patients en TDM au temps portal. L’AUC pour prédire une fibrose significative => F3 était de 0.76 (0.66-0.85). Dans un autre article [2], la même équipe a montré l’intérêt du primovist sur une population de 634 patients pour la prédiction d’une fibrose F3 avec une AUC à 0,85.

Détection et suivi des lésions hépatiques

De nombreux travaux existent pour évaluer la capacité des techniques de machine learning à détecter et segmenter les tumeurs hépatiques. Dans un autre article particulièrement intéressant [3], les auteurs ont développé une méthode à partir de deux scanners consécutifs permettant de détecter l’apparition de nouvelles lésions (sensibilité de 86 % pour les lésions > 5 mm) et de comparer automatiquement le volume tumoral total segmenté entre les deux examens. Les autres études s’attaquent généralement au problème de la segmentation automatique des lésions hépatiques sans passer par la comparaison d’examens, mais en utilisant le plus souvent des méthodes de type CNN, comme chez Sun et al [4] qui présentent une erreur de recouvrement volumique faible (15.6 %).

Dans la catégorie segmentation, on trouve aussi des outils permettant de segmenter le volume hépatique complet, les vaisseaux portes et les veines sus-hépatiques [5]. Là encore, les CNN se révèlent plus performants que les algorithmes classiques. Une sous-segmentation du foie selon Couinaud est alors possible. Les applications sont bien sûr la classique planification chirurgicale, avec la séquence embolisation portale-hépatectomie majeure, mais on voit arriver d’autres cas d’usage plus novateurs, notamment le guidage des ablations percutanées robotisées.

Caractérisation des lésions hépatiques

En ultrasons, dans la catégorie « classification des lésions », citons le papier de Guo et al.  [6] qui propose de classer automatiquement avec du « multiple kernel learning » les lésions hépatiques en bénin/malin à partir d’images d’écho de contraste avec une sensibilité/spécificité de 90.4 / 93.5 % sur 93 lésions. Yasaka et al. [7] proposent de leur côté de classer les lésions hépatiques en cinq catégories (CHC, malin non CHC, indéterminé, angiome et kyste) sur du scanner multiphasique. Leur population d’entraînement est de 460 patients et leurs résultats sont encourageants, avec une AUC à 0.92 pour différencier les lésions malignes des autres.

Contrôle qualité

L’évaluation automatique en temps réel de la qualité de vos séquences d’IRM hépatique est maintenant chose possible. Une classification des séquences T2 « diagnostiques » ou « non diagnostiques » car trop bruitées, a été réalisée par l’équipe de Esse et al. [8] avec une VPN entre 86 et 94 % en utilisant à nouveau les CNN. On imagine facilement les applications de ces outils à la console avec nos chers MERMs …

En conclusion 

Les applications des algorithmes d’apprentissage machine en imagerie abdominale sont déjà nombreuses alors que l’irruption de ces outils dans notre champ académique et clinique est très récente. Les méthodologies des papiers sont pour l'instant hétérogènes ; de ce fait leur robustesse et leur capacité à être reproduits ne sont pas pour l'instant assurées. Une amélioration est cependant prévisible compte tenu du nombre et de la qualité des équipes de recherche qui travaillent sur le sujet. Nous, radiologues, sommes en première position devant l’irruption de l’IA en santé. L’impact potentiel de ce domaine des mathématiques sur l’organisation et la qualité de notre travail clinique justifie que nous nous saisissions du sujet, que nous restions vigilants et ouvrions la voie aux autres spécialités médicales.

Références

1.            Yasaka, K., Akai, H., Kunimatsu, A., Abe, O. & Kiryu, S. Deep learning for staging liver fibrosis on CT: a pilot study. Eur. Radiol. 28, 4578–4585 (2018).

2.            Yasaka, K., Akai, H., Kunimatsu, A., Abe, O. & Kiryu, S. Liver Fibrosis: Deep Convolutional Neural Network for Staging by Using Gadoxetic Acid-enhanced Hepatobiliary Phase MR Images. Radiology 287, 146–155 (2018).

3.            Vivanti, R., Szeskin, A., Lev-Cohain, N., Sosna, J. & Joskowicz, L. Automatic detection of new tumors and tumor burden evaluation in longitudinal liver CT scan studies. Int. J. Comput. Assist. Radiol. Surg. 12, 1945–1957 (2017).

4.            Sun, C. et al. >Automatic segmentation of liver tumors from multiphase contrast-enhanced CT images based on FCNs. Artif. Intell. Med. 83, 58–66 (2017).

5.            Zhou, L.-Q. et al. Artificial intelligence in medical imaging of the liver. World J. Gastroenterol. 25, 672–682 (2019).

6.            Guo, L.-H. et al. A two-stage multi-view learning framework based computer-aided diagnosis of liver tumors with contrast enhanced ultrasound images. Clin. Hemorheol. Microcirc. (2018). doi:10.3233/CH-170275

7.            Yasaka, K., Akai, H., Abe, O. & Kiryu, S. Deep Learning with Convolutional Neural Network for Differentiation of Liver Masses at Dynamic Contrast-enhanced CT: A Preliminary Study. Radiology 286, 887–896 (2017).

8.            Esses, S. J. et al. Automated image quality evaluation of T2 -weighted liver MRI utilizing deep learning architecture. J. Magn. Reson. Imaging JMRI 47, 723–728 (2018).

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