Retours d'expérience sur les organisations et prises en charge des patients suspects d’atteinte pulmonaire du Coronavirus COVID-19 au 22 mars 2020

Retours d'expérience sur les organisations et prises en charge des patients suspects d’atteinte pulmonaire du Coronavirus COVID-19 au 22 mars 2020

Auteur(s) : 
SFR

P.Y. Brillet, M.P. Revel, G. Ferretti, A. Khalil, M. Ohana pour la SIT ; O. Lucidarme pour la SIAD ; J.P. Beregi pour le CERF

"Etes-vous prêts ?"

Les services de radiologie au sein des hôpitaux des principaux foyers épidémiques ont été confrontés au cours de la semaine passée à une augmentation exponentielle du nombre de scanners réalisés dans le cadre de l’épidémie de Coronavirus COVID-19. L’augmentation très rapide des cas impose une préparation des équipes et une adaptation des activités.

Exemple de l’augmentation rapide des TDM thoraciques pour suspicion de Covid19 au CHU de Strasbourg.

Exemple de l’augmentation rapide des TDM thoraciques pour suspicion de Covid19 au CHU de Strasbourg. Ces demandes sont au 22/03/2020 d’environ 60 à 70 par jour (données M. Ohana).

 

Nos tutelles et notamment nos directions hospitalières, nous demandent la déprogrammation des soins médico-chirurgicaux non urgents afin d’augmenter très significativement la capacité d’accueil des patients infectés. Il s’agit d’être vigilant quant à la déprogrammation des actes non urgents, en particulier concernant les activités oncologiques, et de maintenir les actes urgents.

Cette augmentation exponentielle de cas en radiologie, qui selon les modèles épidémiologiques récents ne semble pas en voie de ralentissement, est le reflet de l’accroissement rapide de l’activité des services d’urgence, dont l’organisation peut rapidement être mise à mal. Dans cette situation, les services de radiologie peuvent avoir un rôle pivot à jouer :

1/ en accordant, lorsque cela est possible, une place centrale au scanner dans la prise en charge des patients présentant une symptomatologie respiratoire préoccupante (dyspnée, polypnée et/ou désaturation) et susceptibles d’être hospitalisés suite à leur passage aux urgences. Nous rappelons ici que le scanner ne doit pas être utilisé comme outil de dépistage d’une infection à Coronavirus COVID-19 chez des patients sans signes respiratoires.

2/ en réduisant les temps d’attente et de prise en charge entre deux patients aux urgences, limitant ainsi la congestion des services et l’épuisement des équipes soignantes.

A/ Place du scanner

1/ A l’hôpital

Le scanner semble avoir sa place dans la prise en charge hospitalière après un premier tri clinique réalisé aux urgences des patients suspects d’une infection à Coronavirus COVID- 19.

Les patients présentant des symptômes respiratoires préoccupants (dyspnée, polypnée, désaturation) sont éligibles à la réalisation d’un scanner thoracique sans injection. Cet examen est très performant pour le diagnostic de l’atteinte pulmonaire de la maladie et se positive de façon plus précoce que la RT-PCR [1] (il peut cependant être pris en défaut dans les trois premiers jours de l’infection). Par ailleurs, le délai d’obtention d’un résultat de scanner est de quelques minutes, contre plusieurs heures pour la RT-PCR. Le scanner permettrait donc de fluidifier la prise en charge des patients en confirmant rapidement la suspicion d’infection à Coronavirus COVID-19, ou au contraire en orientant vers un diagnostic différentiel. Si le patient relève d’un transfert dans une autre structure hospitalière, notamment en raison d’une pénurie de lits dans la structure initiale, ce transfert pourra s’effectuer rapidement, sans attendre les résultats microbiologiques.

Au-delà du diagnostic positif, le scanner pourrait également participer à la décision d’orientation des patients, en plus des critères cliniques, en donnant un degré de sévérité basé sur l’extension des atteintes. Un score pronostique radiologique n’est pas encore disponible, mais une extension initiale importante des lésions est un facteur péjoratif. A l’inverse, des résultats radiologiques montrant une extension minime des anomalies pourraient inciter au retour à domicile des patients, avec protocole de suivi médical téléphonique (protocole Covidom).

Notons que le scanner peut montrer des lésions typiques même chez des patients asymptomatiques [2]. Ainsi, nombreux collègues nous rapportent avoir observé des images pulmonaires évocatrices sur des scanners réalisés pour d’autres indications. Dès lors, la réalisation d’un scanner thoracique pourrait se discuter pour l’évaluation de patients a priori non infectés, mais devant recevoir des soins exposant fortement le personnel (intubation- extubation, radiologie interventionnelle etc.). Il s’agit alors de repérer les patients asymptomatiques présentant des anomalies scannographiques fortement évocatrices d’infection à Coronavirus COVID-19 et devant faire l’objet de précautions supplémentaires.

2/ En ville

Il ne nous paraît pas licite pour le moment d’étendre les indications du scanner dans le diagnostic des infections à Coronavirus COVID-19 pour les cas de médecine de ville, en raison du risque élevé de contamination du personnel soignant, de l’absence de matériel de protection recommandés (lunettes, gants, sur-blouses, masques), et du fait que, en cas de signes de sévérité, le patient devra être orienté vers une structure hospitalière dans tous les cas, où les circuits de prise en charge en radiologie sont optimisés pour limiter le risque de propagation de l’infection.

En revanche se pose le problème de la découverte fortuite d’anomalies pulmonaires évocatrices chez des patients asymptomatiques, par exemple sur les coupes thoraciques hautes d’un angioscanner des troncs supra-aortiques, ou sur les coupes thoraciques basses d’un scanner abdomino-pelvien. La détection de lésions typiques chez ces patients les rend fortement suspects d’une infection à Coronavirus COVID-19, posant le problème de leur orientation lorsque le scanner a été réalisé en ville : faut-il adresser le patient à l’hôpital ou proposer un retour à domicile en isolement avec contact du médecin traitant pour évaluation clinique rapide ?

B/ Propositions d’adaptation des procédures afin de faire face à la montée du nombre de cas en radiologie

Ces suggestions sont à adapter en fonction des différentes situations locales.

  • Si deux scanners sont disponibles au sein d’un service, sanctuariser l’un des scanners pour l’accueil des patients Coronavirus COVID-19. Dans le cas contraire, prévoir des plages Coronavirus COVID-19 en alternance avec des plages non-COVID-19 afin d’éviter les croisements entre patients contaminés et patients sains.
  • Coordination avec les urgences pour le circuit de la demande : demande dématérialisée, ligne téléphonique dédiée. L’anticipation de l’arrivée du patient doit se faire de la façon la plus fluide possible de sorte que le patient n’attende pas dans la salle d’attente (procédure similaire à celle appliquée chez les patients polytraumatisés).
  • Prévoir au minimum deux manipulateurs pour gérer le patient : un manipulateur réalisant l’installation du patient ; un autre dans la salle de commande, isolée de la salle d’examen. La procédure de désinfection du scanner entre deux patients doit être en accord avec les recommandations des CLINs
  • Réorganisation des effectifs médicaux et paramédicaux pour s'adapter aux nouveaux rythmes de travail : renfort de la garde, diminution des présences en journée, roulement des équipes afin d’éviter les croisements entre soignants potentiellement contaminés et soignants sains et limiter ainsi la propagation des infections au sein de l’équipe.
  • Utilisation de compte-rendu types, tels que celui proposé par la SIT, afin de standardiser les descritions et gagner du temps d’interprétation.
  • Limiter le risque de contamination des équipes : postes de travail non partagés, utilisation de la téléradiologie pour assurer la continuité des soins et permettre le travail à distances pour les collègues ayant des facteurs de risque d’infection sévère.
  • Réflexion sur l’encadrement, et les possibilités de mutualisation des effectifs avec les services de Radiologie interventionnelle et de médecine nucléaire, afin d'assurer une permanence du matin au soir, notamment pour les réorganisations liées à l’absentéisme des équipes (confinement recommandé aujourd’hui pour les collègues testés positifs), les questions logistiques (masques, désinfection, poubelles...) et le contrôle du stress des équipes (point quotidien avec les équipes...)
  • Prévoir des organisations spécifiques pour les radiographies au lit et cibler au mieux les indications

La rapidité de l’épidémie nécessite des ré-organisations pour se préparer au plus vite. Nous rappelons que l’évolution de l’épidémie et des connaissances induit des changements rapides de nos pratiques, et les recommandations que nous émettons aujourd’hui peuvent ne plus être valables demain.

1 Tao et al, « Correlation of Chest CT and RT-PCR Testing in Coronavirus Disease 2019 (COVID-19) in China: A Report of 1014 Cases », Radiology 2020

2 Inui et al, « Chest CT Findings in Cases from the Cruise Ship “Diamond Princess” with Coronavirus Disease 2019 (COVID-19) », Radiology 2020